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Les ensignants chercheurs à la peine

Chaque année, le nombre d’étudiants augmente, mais les moyens ne suivent pas. Les enseignants observent, impuissants, la détérioration des conditions de travail et d’études.

  • De retour à l’université, la lassitude des enseignants-chercheurs face à la « gestion de la pénurie »

    [Article Le Monde]

    C’est tout juste la rentrée, mais la voilà déjà essoufflée. Oriane Petiot, 32 ans, est pourtant agrégée d’éducation physique et sportive (EPS) : l’endurance, elle connaît. Au printemps, elle a démissionné de sa fonction de responsable pédagogique de la licence 1 du département sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) de l’université Rennes-II. Comme la totalité de ses collègues.

    Habituellement, ce sont eux qui organisent la scolarité des étudiants. Mais cette année, ils ont refusé de préparer les emplois du temps et les groupes : la rentrée est donc reportée, pour le moment, au 4 octobre. « Aujourd’hui, personne ne veut me remplacer pour remplir cette mission : il faudrait être fou pour accepter. » La normalienne endossait seule la responsabilité des 650 étudiants de première année. Son unité de formation et de recherche (UFR), particulièrement sous-dotée, compte quatre membres du personnel administratif et 60 enseignants titulaires pour 2 800 étudiants. Soit un professeur pour 44 étudiants. A l’échelle nationale, on dénombre un titulaire pour 35 étudiants en Staps. Et un pour 17, toutes filières confondues.

    Un rythme « monstrueux »

    D’où, à Rennes-II, une « impression de bricoler en permanence » qui s’est répercutée sur la santé des enseignants, et sur la qualité de la formation. « On a des collègues qui craquent, avec des cas de burn-out sévères, raconte Oriane Petiot. On n’a pas les forces vives pour faire face collectivement. On gère la masse, c’est l’usine en permanence. » Elle décrit un rythme « monstrueux » : les mails le jour et la nuit, la gestion des salles et des emplois du temps, la formation des vacataires, la répartition des groupes de langues, le remplacement des congés maladie, l’annulation de certains cours faute d’enseignants disponibles… En 2020, Oriane Petiot a renoncé à une partie de son congé maternité et cumulé 160 heures supplémentaires, en plus des 384 heures prévues dans son statut. « J’ai fait double service, avec mon bébé sur les genoux. On est tellement obnubilé par toutes les tâches parasites et organisationnelles que le cœur de notre métier en est complètement altéré. »

    Si elle est exceptionnelle, la situation de ce département de Rennes-II renvoie, avec un miroir grossissant, aux maux structurels dont souffre l’université. Entre les rentrées 2010 et 2020, ces établissements ont vu leurs effectifs croître de 16 %, selon les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur, soit 230 000 étudiants à accueillir en plus. Les chiffres de la rentrée 2021 ne sont pas encore consolidés, mais tout porte à croire que la tendance reste la même, en cette année d’exceptionnelle réussite au baccalauréat. C’est en licence que la pression est la plus forte : le nombre d’étudiants a progressé de 20 % en dix ans, et même bien davantage dans certaines disciplines, comme en psychologie ou en Staps, où le nombre d’inscrits en première année de licence a quasiment doublé en dix ans.

  • « La France est un pays sans avenir pour les jeunes chercheurs » : à l’université, le désarroi des nouveaux docteurs

    Alors que le nombre de postes de maître de conférences ouverts à candidatures est en baisse, l’entrée dans la carrière universitaire devient de plus en plus compliquée dans le système français.

    En septembre, Joana, 32 ans, n’a pas fait sa rentrée d’enseignante à l’université. Docteure récompensée du premier prix de thèse de son université en 2019, normalienne major de promotion et agrégée d’espagnol, elle a décidé d’abandonner sa quête de titularisation au sein du monde universitaire et de la recherche. Découragée face au constat « d’absence totale de postes ». Epuisée, aussi, par des années de précarité, à enchaîner les candidatures et les cours comme contractuelle pour 1 500 euros net mensuels.

    Joana a été pendant trois ans attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) au département d’études hispaniques de l’université de Dijon – ces contrats courts qui permettent aux jeunes chercheurs d’enseigner en attendant d’avoir un poste. Elle a vu trois enseignants permanents partir à la retraite : « Deux postes ont été remplacés par des ATER, le dernier a été supprimé. » Cette année, on lui avait proposé des vacations dans une autre université pour « l’équivalent d’un smic »… à bac + 8.

    « On me dit de m’accrocher. Mais des gens avec mon CV qui restent sur le carreau, j’en connais des dizaines. » Mère d’un enfant, Joana ne se projette plus dans le rôle de « professeur TGV », « à combler les besoins abyssaux des facs pour des cacahuètes ». Terminé l’université : elle enseigne depuis septembre dans un lycée du sud de la France.

    Un même sentiment de découragement parcourt les centaines de contributions de jeunes docteurs ou doctorants reçus par Le Monde après un appel à témoignages sur leur insertion à l’université. Dans les récits de ces titulaires du plus haut niveau de diplôme se lit un désarroi partagé face à un « manque de perspectives » dans le milieu académique, et à une « longue lutte » pour l’emploi. Pour ces jeunes chercheurs, l’entrée dans la carrière universitaire s’obscurcit un peu plus chaque année.

    Alors que les effectifs étudiants ne cessent de croître, le nombre de postes de maîtres de conférences ouverts à candidatures a été divisé de plus de moitié en l’espace de dix ans. On ne comptait que 1 070 postes en 2019 contre 2 216 en 2009. Malgré une diminution constante des cohortes de docteurs, la compétition est rude : 7,4 candidats en moyenne pour un poste (contre 4,4 il y a dix ans), et un taux de réussite aux concours pour ces postes passé de 21 % à 13 %, selon une étude de la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche.

    La tension est particulièrement forte en sciences humaines et sociales – certaines sections ne proposent plus qu’une dizaine de postes par an sur toute la France –, mais la problématique touche aussi les sciences et technologies, avec une baisse de 60 % des postes publiés en dix ans.

  • [SOURCE]

    [Article du Télégramme]

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